
Le régime matrimonial détermine la propriété, la gestion et le partage des biens entre époux pendant le mariage et à sa dissolution (divorce ou décès). En France, quatre régimes principaux existent, chacun répondant à des besoins spécifiques.
Vue d'ensemble des 4 régimes
| Régime | Pendant le mariage | Au divorce/décès | Idéal pour |
|---|---|---|---|
| Communauté réduite aux acquêts | 3 masses : propres + communs | Partage 50/50 des communs | La majorité des couples |
| Séparation de biens | Patrimoines distincts | Chacun garde ses biens | Entrepreneurs, libéraux |
| Communauté universelle | Tout est commun | Partage 50/50 ou attribution | Protéger le conjoint |
| Participation aux acquêts | Patrimoines distincts | Partage de l'enrichissement | Équilibre protection/partage |
1. La communauté réduite aux acquêts
Le régime légal français
C'est le régime qui s'applique automatiquement sans contrat de mariage depuis le 1er février 19661. L'article 1400 du Code civil dispose : « La communauté qui s'établit à défaut de contrat ou par la simple déclaration qu'on se marie sous le régime de la communauté, est soumise aux règles expliquées dans les trois sections qui suivent »2. La qualification de « réduite aux acquêts » découle de la lecture combinée des articles 1400 à 1491 du Code civil. Ce régime concerne environ 75 à 80% des couples mariés en France3.
Comment ça fonctionne
Trois masses de biens coexistent :
Biens propres de l'époux 1 :
- Biens possédés avant le mariage4
- Biens reçus par donation ou succession5
- Vêtements et effets personnels6
- Instruments de travail nécessaires à la profession7
- Actions en réparation d'un dommage corporel ou moral8
Biens propres de l'époux 2 : (même liste)
Biens communs (acquêts) :
- Salaires et revenus professionnels9
- Biens achetés pendant le mariage
- Revenus des biens propres (loyers, intérêts)10
- Plus-values des biens communs
Gestion des biens
L'article 1421 du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer »11, sous réserve des actes importants nécessitant l'accord des deux époux (articles 1422 à 1425 combinés)12.
- Biens propres : gestion exclusive par l'époux propriétaire
- Biens communs : gestion concurrente (chacun peut gérer seul pour les actes courants)
- Actes importants (vente immobilier, donation) : accord des deux époux requis13
Les dettes
L'article 220 du Code civil prévoit la solidarité pour les dettes ménagères : « Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement »14.
L'article 1413 précise que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs »15.
En cas de divorce ou décès
Les biens communs sont partagés par moitié16. Chaque époux conserve ses biens propres. Des récompenses peuvent être dues si un patrimoine a enrichi l'autre17.
Avantages et inconvénients
| ✅ Avantages | ❌ Inconvénients |
|---|---|
| Équité naturelle du partage | Dettes professionnelles sur biens communs |
| Pas de contrat nécessaire | Enrichissement personnel limité |
| Protection du conjoint non actif | Conflits possibles sur la qualification des biens |
2. La séparation de biens
Définition légale
L'article 1536 du Code civil dispose : « Lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu'ils seraient séparés de biens, chacun d'eux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. Chacun d'eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage »18.
Comment ça fonctionne
Deux patrimoines totalement distincts :
- Chaque époux est seul propriétaire de ce qu'il possède ou acquiert
- Chaque époux gère exclusivement ses biens
- Les revenus restent propres à celui qui les perçoit
Exception : les biens achetés ensemble sont en indivision (chacun propriétaire à hauteur de sa contribution)19.
Gestion et dettes
- Gestion : autonomie totale de chaque époux
- Dettes : chacun n'engage que son patrimoine personnel20
- Exception : solidarité pour les dettes ménagères (article 220)21
En cas de divorce ou décès
Chaque époux récupère ses biens22. Pas de partage automatique. Les biens indivis sont partagés selon les quotes-parts (articles 1542 et 815 et suivants du Code civil)23. L'époux qui a moins gagné ou travaillé peut se retrouver désavantagé.
Avantages et inconvénients
| ✅ Avantages | ❌ Inconvénients |
|---|---|
| Protection contre les créanciers24 | Inégalité si un seul époux travaille |
| Clarté sur la propriété | Pas de mise en commun automatique |
| Idéal entrepreneurs/libéraux | Le conjoint au foyer peu protégé |
| Simplicité du divorce | Nécessite un contrat notarié |
3. La communauté universelle
Définition
Tous les biens, présents et futurs, deviennent communs aux deux époux25. C'est le régime le plus « fusionnel » sur le plan patrimonial.
Comment ça fonctionne
Une seule masse de biens communs comprenant :
- Tous les biens possédés avant le mariage
- Tous les biens acquis pendant le mariage
- Tous les biens reçus par donation ou succession (sauf clause contraire)26
- Toutes les dettes, passées et futures
Exception possible : les époux peuvent exclure certains biens (clause de « propres par nature »)27.
La clause d'attribution intégrale
Très souvent associée à ce régime, cette clause prévoit qu'au décès du premier époux, la totalité de la communauté revient au survivant28. Les héritiers (enfants) n'héritent qu'au second décès. L'article 1524 du Code civil encadre cette possibilité29.
En cas de divorce ou décès
- Divorce : partage 50/50 de tous les biens30
- Décès sans clause : partage 50/50, l'autre moitié va aux héritiers
- Décès avec clause d'attribution : tout au survivant31
Avantages et inconvénients
| ✅ Avantages | ❌ Inconvénients |
|---|---|
| Protection maximale du conjoint | Dettes communes (même antérieures) |
| Succession simple avec clause | Enfants du 1er lit désavantagés |
| Gestion unifiée | Très défavorable en cas de divorce |
| Évite les droits de succession | Risque en cas d'enrichissement disproportionné |
Recommandé pour : couples âgés, sans enfants ou avec enfants communs uniquement, souhaitant se protéger mutuellement.
4. La participation aux acquêts
Un régime hybride
Ce régime combine les avantages de la séparation (pendant le mariage) et de la communauté (à la dissolution). C'est le régime légal en Suisse depuis le 1er janvier 198832 et en Allemagne.
Comment ça fonctionne
Pendant le mariage :
- Fonctionne comme une séparation de biens33
- Chaque époux gère librement son patrimoine
- Pas de biens communs automatiques
À la dissolution (divorce ou décès) :
- On calcule l'enrichissement (acquêts) de chaque époux pendant le mariage
- L'époux qui s'est le moins enrichi reçoit une créance de participation égale à la moitié de la différence34
L'article 1569 du Code civil définit ce régime : « Quand il se dissout, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre »35.
Exemple concret
Pierre avait 50 000€ au mariage, il a maintenant 200 000€ → Acquêts = 150 000€ Marie avait 30 000€ au mariage, elle a maintenant 80 000€ → Acquêts = 50 000€ Différence : 150 000 - 50 000 = 100 000€ Marie reçoit une créance de 50 000€ sur Pierre
Le régime franco-allemand
Un régime de participation aux acquêts optionnel existe pour les couples franco-allemands depuis un accord bilatéral signé le 4 février 2010 et entré en vigueur le 1er mai 201336. Il est également accessible à d'autres couples souhaitant bénéficier de ses règles spécifiques37.
Avantages et inconvénients
| ✅ Avantages | ❌ Inconvénients |
|---|---|
| Autonomie pendant le mariage | Calcul complexe à la dissolution |
| Protection contre les créanciers | Nécessite un inventaire initial |
| Équité au partage | Risque de dissimulation de patrimoine |
| Combine protection et solidarité | Contrat notarié obligatoire |
Comparaison internationale
Belgique
Trois régimes principaux selon le Code civil belge38. Note : depuis la réforme du 19 janvier 2022 (entrée en vigueur le 1er juillet 2022), les dispositions relatives aux régimes matrimoniaux figurent au Livre 2 du nouveau Code civil belge (« Les personnes, la famille et les relations patrimoniales des couples »), et non plus aux anciens articles 1398-145039.
- Communauté de biens (légal) : similaire à la France (articles 2.3.16 à 2.3.60 du nouveau Code civil)
- Séparation de biens : patrimoines distincts40
- Communauté universelle : tout en commun
L'article 1387 du Code civil belge prévoit que « les époux règlent leurs conventions matrimoniales comme ils l'entendent »41.
Suisse
Trois régimes selon le Code civil suisse (articles 181 à 251)42 :
- Participation aux acquêts (légal depuis le 1er janvier 1988) : le plus répandu43
- Communauté de biens : sur contrat
- Séparation de biens : sur contrat
L'article 181 CC suisse dispose : « Les époux sont placés sous le régime de la participation aux acquêts, à moins qu'ils n'aient adopté un autre régime par contrat de mariage ». L'article 196 définit ce régime : « Le régime de la participation aux acquêts comprend les acquêts et les biens propres de chaque époux »44.
Québec
Deux régimes principaux + patrimoine familial45 :
- Société d'acquêts (légal depuis le 1er juillet 1970) : similaire à la communauté française46
- Séparation de biens : sur contrat
- Patrimoine familial (depuis le 1er juillet 1989) : s'applique à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, partage obligatoire des résidences, véhicules et régimes de retraite47
Comment choisir son régime ?
Posez-vous ces questions :
-
L'un de vous est-il entrepreneur ou profession libérale ? → Séparation de biens recommandée48
-
Avez-vous des enfants d'une première union ? → Éviter la communauté universelle
-
Y a-t-il une grande différence de revenus ? → Participation aux acquêts ou communauté
-
Souhaitez-vous protéger votre conjoint au maximum ? → Communauté universelle avec clause d'attribution
-
Préférez-vous la simplicité ? → Régime légal (communauté réduite aux acquêts)
Le conseil du notaire
Le notaire a une obligation de conseil, issue de la jurisprudence et de sa responsabilité professionnelle (Civ. 1re, 3 octobre 2018). L'article 1394 du Code civil impose que le contrat de mariage soit rédigé par acte notarié.
Notes et références
Footnotes
-
Loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, entrée en vigueur le 1er février 1966. ↩
-
Code civil, art. 1400. ↩
-
Notaires de France et INED, estimations 2024. Le chiffre de 90% parfois cité inclut uniquement les couples sans contrat ; en tenant compte des régimes conventionnels de communauté, la proportion est de 75-80%. ↩
-
Code civil, art. 1405. ↩
-
Code civil, art. 1405 : « Restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, ou qu'ils acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. » ↩
-
Code civil, art. 1404 : « Forment des propres par leur nature [...] les vêtements et linges à l'usage personnel de l'un des époux ». Note : les bijoux ne sont pas expressément mentionnés mais sont généralement qualifiés de propres par la jurisprudence. ↩
-
Code civil, art. 1404 : « [...] les instruments de travail nécessaires à la profession de l'un des époux ». ↩
-
Code civil, art. 1404 : « [...] les actions en réparation d'un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. » ↩
-
Code civil, art. 1401. ↩
-
Code civil, art. 1401 : « La communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. » ↩
-
Code civil, art. 1421 al. 1. ↩
-
Code civil, art. 1422 (donations de biens communs), art. 1424 (aliénation des immeubles) et art. 1425 (fonds de commerce, exploitation). ↩
-
Code civil, art. 1424 : « Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté [...] » ↩
-
Code civil, art. 220 al. 1. ↩
-
Code civil, art. 1413. ↩
-
Code civil, art. 1475 : « [...] Le surplus se partage par moitié entre les époux. » ↩
-
Code civil, art. 1468 et suivants (système des récompenses). ↩
-
Code civil, art. 1536. ↩
-
Code civil, art. 1538 : « Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. » ↩
-
Code civil, art. 1536 al. 2. ↩
-
Code civil, art. 220. ↩
-
Code civil, art. 1542 : « Après dissolution du régime de séparation de biens, chacun des époux reprend ceux des biens qui lui appartiennent en nature. » ↩
-
Code civil, art. 1542 (reprise des biens propres) et art. 815 et suivants (partage des biens indivis). ↩
-
Bpifrance Création, « Régimes matrimoniaux » : https://bpifrance-creation.fr/encyclopedie/regimes-matrimoniaux ↩
-
Code civil, art. 1526. ↩
-
Code civil, art. 1526 : « Les époux peuvent établir par leur contrat de mariage une communauté universelle de leurs biens tant meubles qu'immeubles, présents et à venir. » ↩
-
Code civil, art. 1526 al. 2 : possibilité d'exclure certains biens de la communauté par clause expresse. ↩
-
Code civil, art. 1524. ↩
-
Code civil, art. 1524 : « Il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l'un d'eux s'il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté [...] ou même qu'il aura la totalité de la communauté. » ↩
-
Code civil, art. 1475. ↩
-
Code civil, art. 1524. ↩
-
Code civil suisse, art. 196-220. La participation aux acquêts est le régime légal suisse depuis la réforme du droit matrimonial entrée en vigueur le 1er janvier 1988. ↩
-
Code civil français, art. 1569 : « Quand le régime de participation aux acquêts se dissout, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre [...] » ↩
-
Code civil, art. 1575 et suivants : modalités de calcul de la créance de participation. ↩
-
Code civil, art. 1569. ↩
-
Accord franco-allemand instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts, signé à Paris le 4 février 2010, ratifié par la loi n° 2013-101 du 28 janvier 2013, entré en vigueur le 1er mai 2013. ↩
-
Service-Public.fr, « Contrat de mariage » : https://www.service-public.gouv.fr/particuliers/vosdroits/F948 ↩
-
Code civil belge, Livre 2 « Les personnes, la famille et les relations patrimoniales des couples » (depuis la réforme du 19 janvier 2022). ↩
-
Loi du 19 janvier 2022 portant le livre 2, titre 3, du Code civil (relations patrimoniales des couples), entrée en vigueur le 1er juillet 2022. Les anciens articles 1398-1450 ont été remplacés par les articles 2.3.16 à 2.3.60. ↩
-
Code civil belge, art. 1466 (séparation de biens). ↩
-
Code civil belge, art. 1387 (liberté des conventions matrimoniales). ↩
-
Code civil suisse, art. 181-251 (Titre sixième : Du régime matrimonial). ↩
-
Code civil suisse, art. 181 : « Les époux sont placés sous le régime de la participation aux acquêts, à moins qu'ils n'aient adopté un autre régime par contrat de mariage. » ↩
-
Code civil suisse, art. 196. ↩
-
Code civil du Québec, Livre deuxième, Titre deuxième. ↩
-
Code civil du Québec, art. 432 : « Les époux qui [...] n'ont pas fixé leur régime matrimonial par contrat de mariage sont soumis au régime de la société d'acquêts. » Régime légal depuis le 1er juillet 1970. ↩
-
Loi modifiant le Code civil du Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser l'égalité économique des époux, L.Q. 1989, c. 55, entrée en vigueur le 1er juillet 1989. Les articles 414 à 426 du CCQ régissent le patrimoine familial. ↩
-
Bpifrance Création, op. cit. ↩